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1 octobre 2010

Mots Nomades hors les murs

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Djallel a emmené Mots Nomades à Alger ...

Il y a des soirs bizarres. De ceux où l'on cavale entre deux amies, de Belleville à Ménilmontant, un texte dit, un thé à la menthe offert, des flyers distribués sur la pointe des pieds, un poignée d'images laissée dans le ventre du Zèbre, un passage éclair rue Robert Houdin où l'on cueille fugacement un regard, un regard  parmi d'autres, bienveillants, mais un regard seulement qu'on aura pris le temps d'attendre et dont on revient un peu plus riche.
Des soirs bizarres où on cherche le sens du pavé, le sens de ses propres gesticulations, de ses hâtes étranges où le temps se dilue dans une pléthore de sourires sans lendemain.

 

Un soir bizarre.

 

Où je reprends le micro pour un texte qui trébuche, un pas fini, un presque écrit, un "comme avant". Avant. Quand nos loyers ne dépendaient pas de nos plumes. C'était un drôle de luxe. Un luxe, ou bien une oisiveté, une velléité, un désir diffus qui ne disait pas son nom. Écrire, pour le plaisir.

 

C'est un plaisir, mais il faut le vendre, dorénavant, et le vendre honnêtement. C'est le "il faut" qui change la couleur du ciel. Écrire pour le plaisir ou par nécessité ? "Il faut".
Nous n'avons plus d'autre métier que celui-là. On a jeté le précédent à la corbeille à papiers.
Le "pour le plaisir" est devenu nécessaire, et de fil en aiguille, on a découvert qu'écrire était nécessaire, déjà, avant, même quand on croyait que c'était "pour le plaisir". Mais y a-t-il encore du plaisir quand on obéit à "il faut" ?

 

C'est à n'y plus rien comprendre.

 

On a tout lâché "pour le plaisir", et on doit tenir parce qu'"il faut". On a fabriqué notre propre boîte et on s'est mis dedans.

 

Dis-moi pourquoi, public, j'ai parfois la sensation de me fourvoyer quand je t'aguiche du haut de mon bristol avec un bout de texte pour "teaser". Pourquoi le troubadour doit faire ses preuves avant de mériter son gîte et son couvert. Pourquoi il est plus dur de mettre dix euros dans une entrée de concert que dans deux bières au comptoir. Pourquoi.

 

Les soirs de pourquoi, ça sent la mer à boire.

 

Elle est salée, je l'aime bien, la mer. C'est là qu'on a grandi.

 

Salée comme l'addition.

 

On aura voulu l'enseigne honorable. On aura voulu un berceau luxueux pour le bébé spectacle qui rechigne à grandir. On n'a pas lésiné. C'est un choix, un choix d'auteurs.

 

Demain vous serez cinq, ensuite vous serez dix, plus tard encore, vous remplirez la salle. C'est comme ça. Et puis, un peu plus tard, on écrira des textes, ils sont sur le métier, il y aura des compos, on poursuivra la route. on écrira la suite. je deviendrai chanteuse. oui, je deviendrai. parfois le faire est plus important que tout le reste. Il y a les jours où je pensais "ça sert à quoi ?", "comment on va payer nos loyers ?". Et il y a les soirs bizarres où je me résigne à me battre, parce que la question n'est plus "à quoi ça sert ?". Les soirs bizarres où les questions s'amenuisent devant la mer à boire. Comment on pourrait vivre en cédant à l'utile ? A quoi ça sert l'utile, maintenant qu'on flirte avec l'absence de limites ?

 

C'est grand comme une falaise, c'est définitif comme une veine et un couteau, vertigineux comme une naissance, le tout premier souvenir de chute quand plus rien ne te contient, tu te souviens, du jour où tu es tombé d'un ventre ? C'est un peu ça, l'absence de limites. Et toute la vie, on se fabrique des ventres, d'autres ventres à nous contenir de leurs bras enlacés ou de leurs geôles implacables, toute notre vie on lutte à se recréer les frontières qui nous contiennent pour ne pas nous répandre dans un néant sans fond. Et un jour on se pose la question du plaisir, du besoin, des limites, du rêve d'Icare, et on scie ses barreaux, un par un, on lime les limites, on regarde le monde de plus près, sans les bras qui nous contiennent ou nous retiennent. Et si on a la chance d'être deux, on apprend à ne plus avoir besoin d'un ventre et à se contenter d'une main, et on trouve ça très joli.

 

On connaît pas la faim, on a beau se perdre parfois, on n'a toujours pas faim, et nos enfants non plus. C'est pas la guerre, tout ça. C'est pas une question de vie ou de mort, on n'a pas de flingue sur la tempe, on l'a choisi notre luxe d'oisifs, notre outrecuidance à chercher nos voix, nos stylos dégainés comme des baillonnettes, et l'accord renversé à la boutonnière.

 

On a de la chance d'être nés de ce côté-ci de la parole. Oui, on a de la chance.

 

Alors on en profite.

 

Il y a des défis qu'il faut relever pour le plaisir. Et des batailles qu'il faut gagner parce que la nécessité fait loi. Entre l'être humain et le besoin, il y a la parole. Et c'est peut-être ici le début de l'art. mais je m'égare.
Tout ça, c'est juste des histoires d'évocation.

 

Quand on était maître et maîtresse, Frank et moi, on savait bien déjà, que dès tout petit, celui de nos élèves qui se sortirait des eaux de l'école (une autre mer à boire), c'était celui qui maîtrisait, dès la maternelle, le langage d'évocation. celui du passé, de l'histoire, de l'imaginaire, du plaisir. celui de la pensée symbolique.

 

On n'a vraiment rien inventé.

Mais bon dieu, qu'il est difficile de s'entendre dans ce monde  cacophone, malade des bruits de la consommation qui ont amalgamé besoin  plaisir et argent pour en extraire, à l'emporte-pièce, des évocations marchandes qui nous priveraient bien volontiers de notre imaginaire, si l'on ne veillait au grain, au prix d'une vigilance scandaleuse. Cette bouillie mercantile infecte qui veut nous faire oublier  l'homo faber, le seul peut-être un peu libre dans ce monde de brutes à barreaux de papier monnaie ...

Et si toutes les nécessités n'étaient que des inventions pour faire marcher la planche à billets et nous faire oublier la parole, la parole inutile, celle qui fait rêver ? C'est ici peut-être qu'il faut chercher une partie de la réponse aux questions que se posent les théâtres en ces jours de  rentrée douloureuse. A quelle nécessité répond la démarche volontaire de sortir de sa maison cathodique pour venir à la rencontre d'une parole, en acceptant de payer pour ce choix, en cette période dite "de crise" ?

 

Mais je m'égare.

 

C'est pas avec ce genre de réflexions à la noix que je vais faire avancer la coquille, l'esquif, le radeau, le canoë.

 

Mais il y a des fées qui soufflent d'ici ou de là-bas pour gonfler notre voile. Avec leur bienveillance en écho à mes réflexions à la noix.

 

Parmi elles, quelqu'un, à l'autre bout de la Méditerranée, qui a attrapé notre image pour nous la faire nomade, quand nous campons, l'un dans un TGV, l'autre dans son appartement, sur nos sédentarités contradictoires pour faire avancer des Mots qui n'ont de Nomades que l'évocation.

 

Et le message est tellement joli qu'on va caresser les pages d'un petit morceau de ces ailleurs où l'on ira plus tard. Quelques limites plus loin.

 

Merci à Djallel pour ses images.

 

Un jour je n'aurai plus de maison en murs.

 

D'ici là  ...

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