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le blog de Frangélik

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27 octobre 2014

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Il y a un bébé blog ici.

Il s'appelle Un poil de plume dans un monde de bruit.

Cette page-ci va continuer d'exister à son petit tout petit rythme d'escargot, moyennant une chronique tous les 36 du mois (le 37 est férié, n'importe comment).

 

 

 

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5 juillet 2014

L’école est finie.

C'est le titre d'un livre d'Yves Grevet.

IMG_00000329

C’est une fiction. Nous sommes en 2028. L’école a été phagocytée par les entreprises. Les enfants de riches vont dans des écoles privées. Les enfants de pauvres, dans des entreprises qui leur délivrent un savoir indigent, c’est-à-dire les conditionnent au minimum de compétences requises pour servir leur activité économique. Un peu d’enseignement, dispensé « gratuitement », en échange de contreparties en nature : rendu de service à l’entreprise (remplir les rayons, étiqueter les produits, charrier des sacs, vider des camions...). L’enfant qui « travaille bien » sera récompensé en fin de semaine par des bons d’achat.

Ce mode d’enseignement est la résultante de « la grande crise » du début du siècle qui a abouti à un appauvrissement de la population tel qu’il a fallu prendre des mesures économiques drastiques. L’école est devenue trop chère, alors elle s’est privatisée. Les enfants de pauvres sont retournés au turbin et les entreprises ont pris en charge ce que l’école publique – qui n’existe plus - a abandonné : le formatage fonctionnel des individus pour les rendre aptes au service.

Mais des parents et des enseignants ont organisé « l’école du maquis ». Une école clandestine. Certaines familles décident d’y envoyer leurs enfants. C’est illégal, car elles doivent honorer l’engagement contracté auprès des entreprises qui ont accepté d’éduquer « gratuitement » leurs enfants, en échange de quelques années de leurs bons et loyaux services. Soustraire son enfant à l’entreprise, c’est rompre le contrat. C’est devoir rembourser l’investissement de l’entreprise dans l’entreprise d’éducation.

Ce petit livre de 44 pages est paru chez Mini Syros en 2012. C’est une collection de littérature de jeunesse.

*****

C’est la réalité. Nous sommes en 2014. L’école publique a ouvert ses portes aux organismes privés pour qu’ils lui proposent des offres éducatives aptes à alléger la journée scolaire.  

Ça s’appelle la réforme des rythmes scolaires.

C’est un marché public.

Véridique.

 

Peut-être que certains décideront de prendre le maquis, allez savoir.

4 juillet 2014

Recuerdos (en couleur), quelques pages pour se défendre du gris sauf quand il est une couleur.

Texte de Pascal Pratz, illustrations de Cathy Garcia

 

IMG_00000326

IMG_00000328 (1)Le jour où je l'ai reçu, il avait plu sur le barbecue. C'était un signe.

A Recuerdos je souhaite, notamment,

- la toile cirée à côté de votre tasse de café

- le voisinage des moutons qui cherchent pâture sur vos lectures de chevet

- un sac à dos de promeneur

ou encore des voisins sympas et pas trop chiants sur vos étagères.

C'est un de ces "livres d'usage pour tous les jours", comme dit Thomas Vinau.

Et s'il a pu me venir à l'idée que le sauvetage d'un livre de la négation de son éditeur relevait d'un héroïsme dérisoire et que j'avais d'autres choses à faire, il m'a suffi de lire le dernier texte de ce livre survivant*, 

souvenir en rayures,

pour me souvenir de la place de ce qui est tout petit "devant ce qui sous nos yeux se tient". 

 

C'est un livre que vous pouvez vous procurer auprès de son auteur, en lui envoyant un petit mot, par exemple, ici. Contact Pascal Pratz

*Les survivants ont un mérite extraordinaire. celui de survivre.

2 juillet 2014

Ecrire est un sport de combat

Entre chronique et lettre ouverte, ce texte est pour Pascal Pratz.

Dans l’océan des significations qui ne seront jamais écloses flottent, entre deux eaux, les œuvres inachevées.

Dans l’absolu, il y a une probabilité infinitésimale pour qu’un gamète mâle rencontre un gamète femelle et pour que le miracle de la vie se produise.

Il y a à peu près la même probabilité pour que se rencontrent un auteur et son lecteur, et que le miracle de la signification se produise.

Dans le monde du texte, il y a des sages-femmes qui accompagnent cette naissance, et on les appelle les éditeurs.

C’est, je crois, un joli métier. L’éditeur permet que l’œuvre ne reste pas inachevée. Tout simplement parce que son rôle, c’est de la rendre publique. Autrement dit accessible. Et ce faisant, d’accroître considérablement la probabilité de l’avènement de la signification (reste à savoir si l’achèvement de l’œuvre saurait se résumer à l’avènement d’une signification, mais c’est un débat philosophique au niveau duquel je ne peux pas m’élever).

Joli, mais féroce métier aussi, parce que l’éditeur a un pouvoir décisionnel redoutable : celui de départager qui est « à naître » de qui ne l’est pas. C’est-à-dire que dans l’océan des œuvres en devenir, il est un peu démiurge. Tripoteur génétique. Dangereusement influent sur les courants de pensées à répandre – ou à contenir. Ça fait peur, mais ça fait rêver. Ce doit être un métier fantastique.

Cela exige de l’honnêteté intellectuelle, de la rigueur, une éthique, et un peu, un petit peu d’esthétique.

Lui, l’homme dont je vous parle, il regarde sans aménité le monde d’un peu plus haut, des deux têtes de plus que la nature lui a données au-dessus de la moyenne de ses contemporains. Et l’un de ses métiers, c’est accoucheur de textes.

C’est ainsi par exemple, que sans faire ni une, ni deux, il a choisi de donner naissance à Arbruisseaux. Une de ces naissances qui ne font pas de bruit, sans péridurale et sans forceps. L’enfant se porte bien, merci, et l’auteur ayant par son entremise réussi à s’accoupler avec une poignée de lecteurs, on peut supposer que quelques significations ont pu jaillir de la collision. Ainsi, chacun a tenu ses promesses. L’œuvre, son auteur, son éditeur, ses lecteurs.

Le cycle de la vie des significations pourrait se résumer à cela, mais le temple du commerce abrite nos intentions, même les plus philanthropes.

Ainsi, il est d’usage que l’éditeur gagne sa vie grâce à son métier. Enfin, ainsi aurions-nous envie de l’imaginer dans un monde équitable où toutes les significations à advenir, même les plus minimales, les plus marginales et les plus dissidentes auraient la même valeur marchande.

Et s’il gagne sa vie, en principe, c’est grâce aux livres vendus.

Une petite part de cette vente revient à l’auteur. Une plus grosse part en revient à l’éditeur. C’est normal, parce que si l’auteur a transpiré quelques heures attelé à son établi, l’éditeur, lui,  a investi : l’encre, le papier, la promotion, la distribution… Il a fait travailler l’imprimeur et le maquettiste et il faut les payer (à moins qu’il ne soit lui-même l’un et l’autre, ce qui n’exclut pas qu’il faille les payer quand même et a fortiori). Il fait travailler aussi le libraire (id.), la Poste, etc...

Il se paye sur la bête du bouquin. Idéalement.

Comme je vous disais, il a investi. C’est-à-dire, comme tout investisseur, qu’il a pris un risque. Celui d’investir (comme c'est original). Il a misé sa thune sur un cheval qu’on appelle l’auteur. S’il a misé sur un bon cheval, on peut espérer pour lui un jackpot.

Photo Pascal Pratz

Néanmoins, certains éditeurs ne gagnent leur vie ni de leur art, ni de leur commerce, ni de leurs chevaux. Voici pourquoi en trois exemples.

Cas N°1 : Vous êtes un « petit » éditeur (n’en déplaise à la nature qui vous a doté d’une stature propre à toiser le monde des quelques centimètres qui manquent à vos contemporains pour être à votre hauteur). Vous envoyez un lot de livres à un libraire qui vous les a commandés en vous en demandant facture. Les mois passent. Nul retour. Pas de nouvelles de vos livres, pas de règlement. Vous n’avez pas de service contentieux. Vous n’allez pas monter au créneau pour 50€. Vous vous asseyez dessus.

Cas N°2 : Vous êtes un « petit » éditeur, et vous avez l’audace de publier, de surcroit, les « petits » auteurs (normal, me direz-vous, les autres sont déjà chez Gallimard ou 10 18). La notoriété insuffisante de vos petits auteurs fait que leurs bouquins se vendent peu ou mal. Mauvais chevaux. En ce cas, votre investissement, vous vous asseyez dessus.

Cas N°3 : Vous êtes toujours un « petit » éditeur, mais vous avez du flair, on peut encore appeler ça du goût, bref, vous avez un talent pour « dénicher » le talent. Un jour, votre « petit » auteur entrera dans une « grande » maison. D’abord parce qu’il a du talent, ensuite, parce qu’il aura publié, grâce à des têtes brûlées comme vous qui l’auront accompagné pour la beauté du geste, une demi-douzaine d’ouvrages qui pour être, certes, demeurés confidentiels, ne lui auront pas moins permis de construire une bibliographie respectable de « publications à compte d’éditeur » (dont tout auteur candidat aux subventions du CNL connaît le prix), qui lui auront peu à peu donné du crédit auprès de la « grande » maison qui finalement, aura décidé de se mouiller pour lui. Ce jour-là, votre « petit » auteur rejoindra l’étagère des « grands », mais l’éditeur qui vendra suffisamment de livres pour amortir votre investissement initial, ce sera la « grande » maison, pas la vôtre. Avec un peu de chance, le lectorat de votre auteur reviendra vers vous pour acheter ses livres antérieurs, mais le temple du commerce nous a appris à ne pas trop compter sur la reconnaissance ou la curiosité du consommateur, fût-il un consommateur de texte. Donc là encore, vous avez de grandes chances de vous asseoir dessus.

A force de vous asseoir sur les revenus idéalement attendus de votre activité professionnelle (quelle impudence, vouloir vivre de son activité professionnelle !), vous finissez en chaussettes.

Mais, comme mentionné plus haut, ayant un peu de hauteur, vous ne le direz jamais, et plutôt que d’entrer dans des joutes usantes pour trois francs six sous où s’épuiseraient votre art, votre esthétique et votre philanthropie, vous essayez tant bien que mal de colmater les brèches en pratiquant un autre métier. Celui d’auteur, par exemple (vous en pratiquez d’autres, encore, peut-être - dieu sait à quelle gymnastique infernale il soumet ceux de ses sujets qui ont votre impertinence – mais pour les besoins de mon propos je ne parlerai que de celui-là). Et vous vous remettez à votre établi pour écrire. Et vous vous faites publier par différents éditeurs.

Et puis un jour, vous vous apercevez que, parmi vos confrères éditeurs, tous n’ont pas votre passion chevaleresque pour le livre, ce qu’il affirme, ce qu’il défend, ce qu’il protège, et ce contre quoi il incarne la résistance active la plus pacifiste mais la plus subversive de tous les temps, ce gardien intemporel de nos libertés, que voudraient bien nous ravir écrans et autres gadgets à zapping, mais qui demeure pour l’heure aussi indestructible que la pierre de Rosette, n’en déplaisent aux chiffres affligeants sur lesquels vous vous asseyez quotidiennement à l’heure de remplir votre frigo d’investisseur doté d’un flair incomparable pour le talent ignoré, et grâce à votre entêtement de colibri.

Un jour, une de vos œuvres, pour laquelle vous aviez signé un contrat d’édition, vous revient en pleine gueule Article à lire ici. Pas assez de ventes. Votre éditeur à vous est de ceux qui préfèrent abattre leurs chevaux.

Que vous dire, cher éditeur ?

Force est de constater que tous les métiers ont leurs petits et leurs grands hommes. Et que ce n’est pas avec la grandeur qu’on remplit son frigo.

Vous êtes de ceux qui ont choisi de trimer pour un travail méconnu au temple des marchandises. Ça vous va très bien, ne vous refaites pas. Et puis j’aurais à craindre pour ma peau de cheval si vous changiez d’un iota.

Mais, cher éditeur, il y a des jours où oui, je vous le concède, écrire relève du sport de combat.

Pour vous, allez, pour vous, j’ai contrevenu à l’une de mes règles préférées. En général, je ne lis pas un livre sur écran. Parce que j’aime le toucher du papier, l’effeuillage sensuel et singulier de la page qui révèle la nudité de sa prochaine.

Mais aujourd’hui j’ai lu Recuerdos, et je vous en remercie.

C’est un faisceau de couleurs dont le glacé de mon écran n’a rien pu éteindre, et dont les illustrations n'ont presque rien perdu non plus.

Chaque généralité méritant son contre-exemple, c’est par Recuerdos dans sa version numérique que m’est parvenue sa plus urgente signification.

En espérant que le désaveu de ton éditeur soit la plus belle publicité faite à cet ouvrage dont tu es l’auteur, et Cathy Garcia l’illustratrice, j’ai le grand honneur de t’en acheter publiquement l’un des exemplaires rescapés. Il sera l’une des figures majeures de ma petite arche personnelle des significations promises à l’océan de l’oubli. 

8 juin 2014

Aiôn...juste à côté.

crédit photo Marguerite Maga

Ils ont imaginé un endroit. Comme une maison au-dessus, un peu en retrait, un peu à côté. Avec un escalier et un ascenseur, avec des fenêtres qui ouvrent sur les coupoles colorées de la ville, un endroit suspendu au-dessus de l’océan de béton et bitume, comme le pont d’un bateau, revenu de croisières initiatiques vécues au large des voies balisées, hors des eaux territoriales,  et puis resté à quai par choix, par envie, ce soir-là, pour cette vie entière-là, entre le Mac-Do et la Boucherie, juste à côté du temple du faste et du food, à quai, juste à côté des salles de cinéma qui avalent chaque jour leur foule de proies consentante. Ils ont choisi cet endroit-là pour poser leur bar. 

 Juste à côté.

Ils veulent que ce soit un endroit de rencontre pour boire un verre, manger un morceau. Ils veulent ouvrir un bistrot, en somme. Avec une scène large comme la nef d’un bateau.

C’est une aventure professionnelle, c’est leur entreprise et ça sera leur gagne-pain. C’est simple.

Ils veulent aussi que chez eux, on puisse écouter des concerts, des conférences, voir des films, des spectacles, des expositions, lire des bouquins, planter des arbres, récolter des graines, faire ses courses. Causer. Débattre. Slamer. Prendre la scène pour un oui, pour un non. Et encore un peu plus. Se sourire.

Ils veulent que tu t’y retrouves, seul ou entre potes, en famille, avec tes mômes, avec tes vieux, avec tout ton monde, et même que tout le monde devienne tout ton monde.

Ils veulent te prêter leur boutique pour que tu fasses tes réunions, tes ateliers, tes formations. Ils parient sur ta participation.

Ils veulent vendre, mais ils veulent aussi échanger, troquer, donner, prêter.

Ils veulent revisiter l’économie de marché avec leurs soixante-quinze ans d’expérience à eux trois, ils veulent expérimenter la consommation « à prix libre », ils veulent aussi comprendre les enjeux des choses gratuites. Et ils prétendent gagner leur vie avec ça. Si, si.

A ceux qui les traitent d’utopistes, ils répondent merci.

Sur le monde des objets, ils posent leur regard comme un sourire, et sur les murs du temps et de l’argent, ils tagguent une horloge sans aiguilles et sans chiffres. Eux, ce qui les intéresse, c’est les gens. C’est pas un concept, les gens. Les gens, c’est celui qui aime, celui qui sait, celui qui ne sait pas, celui qui doute, celui qui a peur, celui qui a fait, celui qui fera. Les gens, c’est celui qui a voté, celui qui n’a pas voté, celui qui aimerait que ça change, celui qui veut que ça change, celui qui attend qu’il se passe enfin quelque chose. Les gens, c’est celui qui a, celui qui n’a pas. Les gens, c’est celui qui chante, celui qui crie, celui qui peint, celui qu’écrit, celui qui plante les graines pour que tu manges. Les gens, c’est simple et c’est multiple, c’est pas pareil et c’est tout le monde, ça fait du bruit, c’est compliqué, c’est emmerdant. Les gens, c’est pas que des consommateurs, c’est pas que des moutons, c’est pas que des shows de téléréalité, c’est pas que la mode. Les gens, c’est des sales gosses aussi, c’est mal élevé, c’est révolté, c’est pas commode. Eux, ce qui les intéresse, c’est les gens.

Et eux, c’est Aiôn. Trois jeunes hommes, Quentin, Thomas, Aymeric. Les acteurs humbles du chantier qu’ils se sont choisi et auquel ils t’invitent, dans la simplicité d’un coup de marteau partagé, d’un échange de savoir ou de savoir-faire. Derrière leur regard et leur sourire franc, la petite marche de l’histoire ne se voit pas. Pourtant, là, tout près, tout à côté, c’est comme une petite source qui affleure. C’est subtil, c’est infime, c’est comme le raffut des oiseaux à l’aube, c’est le printemps qui suggère la prochaine révolution. C’est annonciateur, le temps va changer. Le temps, pas celui des aiguilles, celui des hommes. La révolution, pas celle qui fabrique des morts, celle qui besogne comme fourmi à l’industrieuse liberté. C’est local, c’est pas prétentieux, ça ne se proclame pas, ça se fait, tout sourire dehors, le pinceau à la main et le cœur à l’ouvrage. « Tranquillou » comme dit Quentin.

Un philosophe m’a dit : « Se révolter, c’est prendre conscience, pour s’opposer, puis agir et créer en conséquence, pour proposer ».

Et Aiôn propose. Toutes voiles dehors, à tire larigot, à tire d’aile, Aiôn propose.  

Ça va ouvrir.

Aiôn, c’est un bar solidaire et culturel. Juste à côté. 

aion 6

 

Aiôn, 41 rue de la scierie, 17 000, La Rochelle.

https://www.facebook.com/aion.larochelle?fref=ts

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1 mai 2014

Paradis argousins

Soudain, ce livre, négligemment, sur une table au chevet d'un canapé, dans le ventre d'une maison perchée comme un arbre perché, campée sur ses poutres de bois brun et sa faille effrayante, une maison de barde en équilibre fragile, une cabane de sauvageonne ou un nid de pinsons. J'y étais de passage, dans la magie colorée de cet antre familier où j'arrivais pourtant pour la première fois.

C'était à Lyon. Ceux qui savent sauront.

Et puis ce livre dans cette maison : Paradis argousins, de Victor Blanc.

Alors on peut commettre l'erreur du butinage, et lutiner l'ouvrage sans l'effeuiller vraiment.

J'ai commis cette erreur.

Le peu de texte échappé m'a tiré la langue, avec une outrecuidance rare. J'ai feuilleté vite fait, comme si ça gênait, j'ai reposé l'ouvrage avec quelque chose comme "ah, je reconnais bien là Victor".

Seulement voilà.

Avec son insolence instantanée, la mélopée numérique des amours léthargiques m'a emboité le pas de sa petite musique têtue.

En revenant de là-bas, j'ai illico commandé les Paradis de Victor en librairie.

Et me voici propriétaire. Être propriétaire d'un paradis ou même deux, c'est prendre des risques. Je les ai pris.

Des paradis cohérents, à l'Editeur près. Publié au Temps des cerises, Victor écrit

"Jean et les siens crient des slogans pareils

Aux vieilles chansons

Tout ça n'empêche pas Nicolas

Qu'la Commune n'est pas morte

Eugène Pottier Jean-Baptiste Clément

Les fleurs à jamais refleurissent des cerises de jadis".

 

Le Temps des Cerises, ça lui va bien, à Victor, quand même. Lui qui battit le pavé, avec Almarita Milasol et puis tant d'autres, mais chut. L'Histoire n'a que faire des petites histoires. Quoique.

Un pinardier qui vend du vin par amour et non par opportunisme a le vin noble et il sait le partager. Ainsi en va-t-il des poètes des temps modernes qui vendent un milli poil de conscience.

Victor Blanc entre dans la littérature comme on entre en politique : avec engagement. Et il raconte le monde avec une acuité sans concession.

Les Paradis argousins se lisent comme un roman. Il y a un fil que l'on ne perd jamais, sur fond de berges de Seine et au long cours de la spirale de "l'escargot" parisien, symbole peut-être de toutes les déshérences, arrière-plan urbain pour lequel il cultive tendresse et dégoût à la fois. Victor prend la plume comme une caméra, et il montre du doigt comme un môme mal élevé. Victor a le journalisme poétique. Il a la caricature sociale mais aussi la description réaliste.

Je m'en allai dans ces marais salants

Que sont les berges de la Seine

Le fleuve est un crachat de la terre

La Tour Eiffel les jambes arquées

Comme pour accoucher de la misère du monde

Surveillait le périph et les Champs-Elysées

Dans le Paris de Victor, le monde en marche fait son œuvre, avec ses petites milices qui se promènent en escouades dans le halo des gyrophares pour sauver la cité de ses fumeurs d'étranges cigarettes, ses délinquants dérisoires qui fuient, éperdus, pour des crimes ridicules. Dans le Paris de Victor, on se surprend une petite chamade quand Julien se fait pincer et qu'il passe la nuit en garde à vue, et une petite nausée de désillusion quand le poète, terré sous une voiture pour échapper à ses poursuivants, décrit la ville du plus bas qu'il peut. Dans le Paris de Victor, le fait divers devient une accusation.

La tension monte tout au long de l'ouvrage pour finir avec la mise en scène satirique du "Jubilé présidentiel", parodie du simulacre de débat qui nous a presque tous, en France, collés au carreau cathodique au printemps 2012. Une parodie qui s'achève par le consensus proclamé à l'unisson par les deux protagonistes : "Austérité". Ça claque comme le mot de la fin d'un vaudeville, ça nous laisse pantois et légèrement honteux d'y avoir cru ne serait-ce que cinq minutes, c'est un peu comme lorsque l'amant et le mari se réconcilient en trinquant au bistrot du coin. L'épousée, ici, c'est la République, mais c'est pareil, elle est bafouée dans la liesse générale. C'est Ubu, et c'est nous au milieu de la cohue et des injonctions contradictoires, c'est Victor Blanc en metteur en scène des personnages de Jarry, c'est une petite pichenette à nos absurdités, à nos surdités.

"Hi-han fait l'horloge

On lui avait pourtant dit

Que ce n'était pas l'heure de braire

Les deux armées se font face"

 

Victor réinvente la chanson de geste : il y a du roman, mais c'est une chronique féroce de notre contexte politique et social. C'est une interpellation.

Victor bouscule les genres. Il réussit cet époustouflant tour de force d'écrire un livre de poésie comme un roman, comme une pièce de théâtre, comme une chronique, sans jamais nous permettre d'oublier qu'il est poète avant tout. Une poésie truculente où le vocabulaire fleurit sur les pages avec parfois des anachronismes savoureux, mais aussi avec des néologismes, des inventions sémantiques. Une poésie qui jaillit en contrepoint, à chaque collision des genres, à chaque croisée des verbes. Il y a des joyaux surannés comme "cestuy là", "Jaime à croire/Qu'ils renaîtront/Si les mande vesprée" (avec dérision, parlant de ses propres vers fatigués), et bien sûr "les argousins" qu'il réactualise avec brio, comme on actualise sa page web.

Le Paris de Victor Blanc est virtuel, comme le suggérait déjà sa "Réalité augmentée". De ce virtuel ourlé d'une réalité bleue comme le reflet de nos incantations sur les réseaux sociaux, miroir déformant et amplificateur des rumeurs médiatiques...

"Le matin se fait à sueur d'Evangile

Un ciel bleu

Comme un écran d'erreur"     

 

Les Paradis argousins de Victor Blanc font écho aux "Paradis artificiels". Peut-être.

L'ouvrage est ainsi parsemé de références subtilement amenées. Victor ne se réclame pas de, il est, simplement, héritier. D'Aragon, de Rimbaud, de Baudelaire, mais aussi d'Hugo, de Molière... On le sent grandi au verbe comme d'autres le sont au grain. Victor a mangé de la littérature quand il était petit : elle est dans le bois dont il est fait. Aussi, quand il montre son héritage, il est naturel comme un fils peut l'être. Ni emprunté, ni pédant. Légitime.

Victor Blanc fait vivre le verbe avec modernité, tout en rendant leurs lettres de noblesse à la rime et la métrique. Je me souviens avoir lu quelque part de sa plume quelque réflexion sur la débauche de vers libres en poésie contemporaine, avec une pointe de nostalgie peut-être pour l'écriture plus codifiée...Aujourd'hui, libres, ses vers le sont autant que lui-même. Mais il a mis l'alexandrin dans sa poche, l'octosyllabe, les pairs, les impairs, des rimes riches, parfois léonines - "Pour s'élever le rosier doit laisser tomber son tuteur/Comme un enfant son instituteur" -  croisées (il les affectionne), mais aussi embrassées... Et il leur fait prendre l'air avec jubilation.

Mais Paradis argousins, c'est aussi de la prose, des vers libres, des slogans, des chants révolutionnaires...tout un attirail ludique, une grande boîte de Meccano où Victor a puisé les engrenages des machines d'autrefois pour les combiner avec les matériaux contemporains : il y a de la loco à vapeur, du Boeing 747 et de la fusée Ariane dans son engin, un véhicule inédit à nous faire voyager dans une poésie 3.0., où la machine d'écriture est au service du rythme et du propos, sans digression auto satisfaite. Sans que la forme prenne le pas sur le contenu, et sans qu'elle soit affichée comme un parti pris esthétique.

Et Victor Blanc nous interpelle. Il est cohérent avec "Réalité augmentée", sa première publication.

Victor a grandi, c'est tout, et il n'a rien renié. Je lui en sais gré.

Dans "Réalité", il y a "La chaise", un texte à Mumia Abu-Jamal.

Dans les "Paradis", il y a "Un nom", un texte daté du 21 septembre 2011, jour de l'exécution de Troy Davis.

Dans "Réalité", un poème intitulé "Flics en folie et fragrances", qui collectionne les flics, comme les flaques collectionnent les plics et les plocs, où la musique prévaut et où le ridicule ne tue que la logique policière : "flics Sur l'ardoise/flics Sur les fables/flics Sur les tables/flics Entre les lignes/flics A marelles..." Un texte qui préfigure Paradis argousins, peut-être. 

Il a inventé pour nous des personnages touchants et pathétiques. Dans son premier ouvrage, quelqu'un s'appelle Ventru. Dans Paradis argousins, on fait connaissance avec Jean de la Crise. Ventru et Jean de la crise, peut-être jumeaux, peut-être pas, Jean de la Crise, l'honnête homme privé de travail, ou de dignité, ou de rêves, Jean de la Crise, peut-être moi, peut-être vous, un brave Jean. Jean de la Crise et Ventru, tout à la fois, le peuple deux en un, martyr ou fakir, champion de la douleur anesthésiée :

Le peuple est un fakir

Sans qui les bris de verre

Font vitre.

Jean de la Crise, peut-être vous, peut-être moi, baladé et abusé...

Jean sur le toit de l'usine :

"Capitalisme

J'écris quelque chose comme

Ton nom"

Et dans l'anaphore d'Eluard ainsi malmenée, prend la mesure de la désespérance qui veut.

Victor Blanc interpelle Jean de la Crise, avec élégance. Sans le culpabiliser, mais avec désespoir. C'est peut-être là son génie. Parce que Jean de la Crise, il n'est pas le mouton que Victor a bien voulu nous camper. Il a peut-être encore une oreille pour le désespoir. Jean de la Crise a son monologue (ou son quant à soi) pour lui, et s'il se tient à carreaux, c'est juste parce qu'il lui faut bien survivre. 

"Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? Je vois la pitié comme une tâche de sang, une lèpre en devenir. Aussi vous offrirai-je ces soleils embusqués, par un petit matin pâle où l'horizon vous fait un pied de nez. (j'ai faim, j'ai froid, les discours me sont un oreiller.) C'est en passant que j'ai vu de la lumière, la Crise me disait : "Va-t’en !" et je lui répondais "Reviens-t ‘en !"."

Qui sait si Jean de la Crise, un jour, peut-être, aux injonctions répétées de Victor Blanc, à l'usure du quotidien, à la lassitude des simulacres de cérémonies, au ras le bol de l'omni pensée, qui sait si Jean de la Crise, un jour...

La Révolution. Une affaire d'astres, d'attraction universelle, de déterminisme cosmique ou de périodicité. Une question d'humilité. Entre l'individu et le peuple, le chemin, c'est où, enfant ? 

Prophète, Victor Blanc ? Peut-être pas. Agitateur, sans doute. Poète, absolument.

Victor Blanc a vingt et un an. Il promet.

À suivre. 

 

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26 avril 2014

Et s'il ne parlait pas ?

C'est une librairie tombée d'une bouche dans mon oreille. Elle s'appelle Les Saisons et habite rue Saint-Nicolas à La Rochelle.

Aux saisons, c'est tout en long. Il y a des petits billets de recommandation sur les livres repérés, des petits mots en couleur. ça passe le témoin, ça donne envie. ça participe du bouche à oreille mais de cette façon de silence qui n'appartient qu'aux livres. On prend ses marques, et les livres, on les touche. Le libraire est attentionné. Il respecte votre temps, votre solitude et votre flânerie.

C'est là que j'ai trouvé "Et s'il ne parlait pas ?", d'Amandine Marembert, paru aux Arêtes en mai 2013. (http://areteseditions.blogspot.fr/ )

Amandine Marembert dit avec des mots ce qui se touche avec précaution dans le cristal du silence. Elle dit ce qui ne se parle pas. Le regard, le rire et le geste étrange, le partage improbable qui s'invente hors des codes. Une histoire de prince de la lune apprivoisé par une rose sur un chemin de traverse où les gestes parlent à la place des mots. 

Elle a commis un acte de langage, et à l'endroit des virgules ou des majuscules, elle a mis rien du tout. Un acte de langage comme une conversation ininterrompue, avec pour seule pause le blanc de la page comme une marée sans paroles où existe son petit garçon. Silence comme puzzle de significations, pas silence comme absence.

 

"il ne parle pas comme on dit

affirme sa petite soeur

il parle comme on dit pas

plus loin derrière

ou plus près devant"

 

"il entre son corps

à moitié dans la haie de buis

sourit les mains fouillant les feuilles minuscules

il nage debout

dans une eau verte

lit le braille végétal"

 

"sa soeur fait collection et bouquet

des feuilles rouges de l'automne

il en choisit une couleur or

qu'il fait tournoyer

au bout de ses doigts-branches

suspendues à son souffle-vent"

 

"Et s'il ne parlait pas", c'est un livre rectangle aux feuilles libres. Libres, c'est quand tu gardes la reliure sans colle ni couture ni agrafes, juste parce que tu le veux bien. 

Le papier parle aux doigts de son grain qui console d'avoir allumé les écrans si tôt le matin. Le papier raconte quelque chose à la main qui le lit.

Sur la première de couverture, une estampe de Pilar Saltini (http://www.pilarsaltini.com/). Un oiseau sur une branche.

L'ouvrage a le savoir-faire des objets qui réfléchissent sept fois avant de se vendre. La classe des grands de poésie sans l'emphase.

C'est un livre rectangle où habite un triangle.

 

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11 mars 2014

A pas de Lézards, spectacles enchantistes

Il y a peu de temps, je vous parlais de boîtes à chaussures...

Voici des nouvelles du projet "A pas de Lézards, spectacles enchantistes"

Logo APL

 A la rencontre du citoyen et des arts de la scène, nous avons imaginé un chemin qui s’appelle "A pas de Lézards".


C'est une initiative culturelle et artistique qui donne toute leur place aux personnes déficientes intellectuelles.

Concrétisation 

A pas de Lézards, ce sera

• Une salle de spectacles et une programmation qui permettent aussi au public en situation de déficience intellectuelle d’accéder à une offre adaptée, tant par la durée que par le contenu, tout en demeurant d’une qualité esthétique exigeante, équivalente à celle de spectacles tout public.
• Une offre de spectacles à domicile adaptée aux adultes avec autisme.

A pas de Lézards, c’est déjà

• La création d’un spectacle musical qui mettra sur scène des auteurs-interprètes en situation de déficience intellectuelle.

Un projet imaginé par 


• L’Association Mots Nomades Production, qui sous-tend notamment des actions culturelles et agit pour l’égalité d’accès à la culture pour chacun.

• L’Association Emmanuelle, 13 établissements au service des personnes déficientes intellectuelles et des personnes avec autisme. 

Avec le soutien du Crédit Agricole, le premier mécène à nous avoir suivis, avec enthousiasme.

carton

Ce soir, "A pas de Lézards" se présente lors de l'Assemblée générale du Crédit Agricole, à l'Espace Encan à La Rochelle, devant 800 personnes. C'est pas tous les jours !

Coup d'envoi pour nous d'une campagne de recherche de financements...

032

 

31 janvier 2014

Clichy Bye

Clichy, c'est 25 ans. Ce sont des murs qui lézardent, des mômes qui grandissent. Des marronniers qu'on remplace.

Moi j'étais d'ailleurs, ici je ne voulais pas. Quelqu'un m'a extraite d'un Maroc qui ne m'était pas même natal mais où j'avais forgé un regard. Armée de ce seul atout, me voici, Clichy, me voici parmi vous. Enfin, j'en fus, j'y fus, je vous aimai, même, savez-vous.

Clichy j'ai détesté, pourtant, et c'était Paris avec, et ses escalators, ses gris, ses pâles, ses jointures de métro qui craquent, ces animaux par wagons, ces nuits glacées sur Martre mouillée, sur Montmartre escarpé. Emmurée. Des cavalcades, des portes aux mâchoires métal, du haut sur le coeur, du ventre dans les talons, la sueur du troupeau, Paris, vos densités. Ici ça parlait bitume, tu comprends, au bord du Jean Jaurès, ça carbure les autos. J'ai bercé mes enfants dans les incantations du boulevard. La rumeur, parfois, c'est du bruit à dormir, le ronron de la ville. On s'est appris, on s'est apprivoisés. 

Moi je ne comprenais rien à la cité d'ici. Je n'appartenais pas à la cité d'avant. Je n'étais d'aucune cité, partant, je décidai d'être de toutes, c'est-à-dire que Clichy serait toutes les cités. Et Clichy tint parole.

J'y vécus peu de choses, mais enfin... Une carrière de maman. Une carrière d'instit. Quand j'y regarde bien, je me sens assez vieille, de tous ces métiers-là, mes seuls métiers du monde : passer le témoin. Et s'il y a de la lumière, c'est un peu de gagné. 

Clichy, faut la quitter un jour pour la comprendre province. Faut la quitter un jour pour connaître son langage.

J'avais mis sa médiathèque dans la poche de mes élèves. J'y avais mis debout contre les bacs d'albums des bouts de choux à quatre pattes qui ont grandi leurs bras pour plonger dans les pages. Certains n'en sont sortis que bien des Harry Potter plus loin, d'autres y sont restés, parfois s'y sont perdus. La plupart n'y reviennent plus. La bibliothèque jeunesse où certains ados décident de grandir loin de leur mère : Clichy a plusieurs girons. Je ne les connaissais pas tous. Mes enfants m'en sont gré.

Clichy, c'est très haut le 15 rue fournier. Locataires de Paris, oui Monsieur, oui Madame, la plus grande cité de l'univers du haut de mon Petit Hiver. Avec ses couleurs de nuit comme un soir de cabaret, Paris étendue à nos pieds comme une fille de joie. Nous pensives, accroupies au balcon : "oui, faut que tu chantes, ma Pépette", qu'elle me disait, quand je croyais naufrage.

Clichy c'est un village. Il y a de mon Maroc natal, ici. C'est le marché, c'est la maman de Mariam, la maîtresse elle parle arabe, tu sais ? C'est Zohra, les m'semen, je sais pas ça s'écrit comment en français, baghrir, encore pire. Mais c'est Clichy. Clichy, des petits pieds nus noirs dans la neige qui troue les souliers de toile. Clichy, fait chaud contre les radiateurs de mon CPA à l'heure de midi quand ça crie par centaines dans la cour de Pasteur. Yasmine n'avait pas de lit : elle dormait sur la table. Fratellini : on a planté des soucis, on n'en avait pas assez, la cour était trop grise. Encaissée entre les tours berge de Seine, nous on s'en foutait, ça sentait le pain de fournil dans la grande section, on devenait boulangers et on avait 5 ans. Dehors, on ferait le jardin sur la langue de terre qui nous reste. C'est comme ça que Roxanne a inventé de collectionner les fourmis d'entre les grilles des arbres de Jean Jaurès. La fourmi de bitume, ça s'honore, madame, ça a du mérite. On lui fait des révérences.

Ici l'école faisait des trucs. Faut qu'elle les fasse encore, Clichy, s'il te plaît. Laisse pas ton monde se fatiguer. Faut du merveilleux dans les rencontres de langue, faut tes enfants partir en vacances, faut ta grande mixité mettre tout son coeur à l'ouvrage, faut les Emmanuel dormir chez les Simon, les Loïc avec les Sid-Ali, comme toujours, comme avant, faut laver les chaussettes ensemble, à la Elie. Faut parler dans la rue le langage sans les poings. Faut danser, faut apprendre, faut parler. Clichy faut rester pour replanter des arbres. Faut fabriquer des métiers. Faut écouter les cours pavées à l'herbe frondeuse de la rue de Paris nous raconter le temps d'avant, le temps des ateliers, le temps des quais, le temps des garennes et des jardins. Faut la Seine héberger les ados avec leurs guitares et leurs accordéons, leurs amours et leurs cigarettes si particulières. Comme avant. Comme toujours.

Clichy faut pas te perdre. 

Je te garde en tendresse. On s'appelle. On s'écrit. 

 

 

18 janvier 2014

A pas de Lézards

Quand j'étais petite, j'inventais dans des boîtes en carton des maisons comme un foyer pour des petites poupées grandes comme ça. Je leur inventais de belles histoires. Je m'amusais bien. Elles vivaient en communauté, elles étaient une famille, sauf qu'elles ne l'étaient pas par les liens du sang, elles l'étaient par l'expérience. Aujourd'hui on dirait "le vivre ensemble". 

Ensuite, quand j'ai été plus grande, j'ai touché du doigts différents métiers qui rappellent la communauté et qui bricolent autour du vivre ensemble. 

Il y a quelques mois, j'ai rencontré des personnes parce que je cherchais du travail. (Chanter des chansons, c'est pas un cdi, alors pour le loyer, des fois, faut être inventif.)

Je suis arrivée dans un endroit comme un village. Des maisons, des allées, des pelouses, des tables sous la tonnelle pour l'apéro. Dans chaque petite maison, y a un salon, des chambres pour chacun, une salle à manger, des salles de bain...Et puis il y a des gens qui habitent là. Boîtes à chaussures. Aussi joli.

Si tu regardes bien, tu vois que le gars qui tond la pelouse, il est pas tout à fait comme toi. La dame qui t'accueille, non plus. Ils sont pas pareils. Pas très différents, mais quand même un peu.

Et là tu percutes que les boîtes à chaussures, c'est forcément pour des Pas Pareils. Parce que les Pareils, en règle assez générale, ils ont pas besoin d'être une communauté, ils peuvent se contenter d'être des individus, ça leur suffit.

Pour les Pas Pareils, c'est beaucoup plus difficile d'être un individu. Dans le regard des gens, notamment. La société n'a pas tellement besoin d'eux, alors elle les met de côté, là où on met ceux dont on ne sait pas quoi faire. Ce n'est pas qu'elle soit malveillante, la société, mais elle n'a pas le choix : faut bien qu'elle gagne sa vie et qu'elle paye son loyer, elle aussi. 

Elle met de côté, mais elle a des institutions solidaires qui sont chargées des boîtes à chaussures, parce que exclure, c'est pas bien. C'est écrit. Et les boîtes à chaussures, il y a des institutions qui font ça plus ou moins bien. ça dépend des fois, ça dépend des gens.

Ici, où je vais passer un entretien d'embauche, c'est l'Association Emmanuelle, qui fêtera ses quarante ans cette année, et qui se préoccupe de la vie quotidienne, de l'hébergement, du travail, de l'épanouissement de Pas Pareils. Ici, des handicapés mentaux. Une longue histoire déjà en Poitou Charentes, l'Asso Emmanuelle. Au départ, des parents. Comme la plupart du temps. http://www.emmanuelle.asso.fr/

L'Association Emmanuelle m'a embauchée pour quelques mois, j'ai travaillé au Pôle autisme, avec des Pas Pareils vraiment pas pareils. Là, tu vis avec. Là, tu rencontres des personnes qui te font sortir de tes chemins pour en emprunter de nouveaux. Tu apprends le silence comme une plage avec du soleil. Le geste, comme un langage premier. Tu réapprends à te taire. Au bout d'une petite semaine, tu regardes ton bavardage quotidien comme un verbiage inconsistant. Tu perds tes repères. Tu voisines avec la souffrance, aussi, oui, beaucoup, la solitude, un peu. Tu essaies d'accompagner, d'offrir ta main à qui ne v/peut pas te la prendre. Tu cherches les portes pour entrer, tu veux aider à porter un fardeau dont tu ignores tout, même le poids. Tu cherches des subterfuges, des centres d'intérêt. Tu inventes avec tes collègues des routines qui déjouent celles du trouble. Tu es obligé d'être créatif. Tu remportes tes premières victoires quand un sourire, un regard croisé, quand un cri devient chant, parfois, rarement, mais une fois suffit pour qu'apparaisse le champ des possibles.

Tu apprends le travail d'équipe. Oui. Tu apprends. Parce qu'avant le Pôle autisme, t'avais pas compris à quoi ça servait, une équipe. Enfin, pas vraiment.

Une équipe, avec un tempérament à couper au couteau, des éclats, des coups de gueule, ah, ça oui, des tempéraments. Mais une bienveillance vraie, une vigilance extrême et une acuité particulière à l'autre. (AMP : si jamais tu ne connais pas ce métier, va le découvrir...)

Cette histoire là, ça nous a fait nous poser des questions, à Frank et moi.

Je vous les livre en vrac :

Comment on a pu arriver à ce que les Pareils ignorent jusqu'à l'existence des Pas Pareils ? (Sauf trois entrefilets dans un canard et puis s'en vont...)

Pourquoi les Pareils, ils sont tellement absents des boîtes à chaussures ?

Pourquoi les Pas Pareils, ils en sortent si peu souvent, et pourquoi quand ils en sortent, c'est une expédition ?

Comment les Pas Pareils ont-ils accès à la Culture ? Est-ce qu'ils y ont accès pareil ? En principe oui : la république, elle parle d'égalité. Mais où ça s'achète, l'égalité, quand on est Pas Pareil ? Avec quels sous ?

Est-ce qu'on pourrait imaginer un spectacle où se rendraient Pareils et Pas Pareils ensemble ? 

Oui, oui, naïves questions. Oui, tous déjà on a les réponses. Oui, oui, d'autres déjà bien sûr y ont réfléchi. Pistes existent. Chantier permanent, en cours de construction.

En attendant de pouvoir trouver des réponses, on a décidé, l'Association Emmanuelle et nous, de creuser, une piste ensemble. Une piste qui inviterait les Pareils dans les boîtes à chaussures pour voir des spectacles avec les Pas Pareils. Par exemple. Ou encore, une piste qui permettrait aux Pas Pareils de créer des spectacles et de venir sur scène...

Enfin, le principe d'une piste, c'est qu'au moment où on prend la pioche, elle n'est pas vraiment carrossable encore. Et on ne sait pas vraiment où elle nous mènera. Mais on prend la pioche. Si elle nous emmène quelque part, on vous donnera l'adresse, comptez sur nous ! Il se peut même qu'on ait besoin de vous pour trouver la destination...

Cette piste, on l'a appelée "A pas de Lézards".

 

 

 

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