Paroles de "Grand-mère"
Notre petit doigt nous a dit que quelqu'un a cherché les paroles de "grand-mère" sur le web ... les voici donc. Qui que tu sois, internaute opiniâtre, c'est pour toi !
Grand-mère
texte Angélique ; compo Frank
Ton manteau suspendu dans l’entrée au vestiaire
Tu n’as gardé sur toi qu’un strict nécessaire
Un bonjour, un merci, un monsieur, un madame
Un sourire, une photo, un mouchoir, une larme
Dans les poches du manteau tu as laissé des clés
Que parfois on te porte au matin des visites
Pour ouvrir les tiroirs où tu tiens bien rangé
Le butin rapiécé d’une cité interdite
A quelques initiés, tu accordes un regard
Sors avec conviction une relique du tiroir
Époussettes d’un doigt la vitre filigrane
Où tu revois le chaume des heures paysannes
Un bouquet de légumes sur la pierre à évier
L’heure du soir qui fait chanter les peupliers
Une brouette d’orties au bas de l’escalier
Sur la pierre encore tiède un verre vide oublié
Et puis dans le cagibi, le pti laboratoire
Où nos bouilles mutines se révèlent dans le noir
Au-dessus des bassines une Gitane maïs
Aux lèvres suspendues qui éclaire le chimiste
« S’il te plaît, je voudrais tirer cette poignée …
- Non, pas ici ma fille, y a rien à regarder
Ou si peu … je sais plus, j crois que c’est là que je range
Le petit cadeau d’usage pour la faiseuse d’ange
On sait jamais ma fille, ça peut toujours servir
Qu’est-ce donc que j’aurais fait d’une autre bouche à nourrir
Je sais bien que le bon dieu n’est pas d’accord pour ça
Mais c’est pas lui non plus qui me les élèvera
Mais si on regardait plutôt dans ce coin là ?
J’y ai mis du quatre heures, et puis du chocolat
Un tricot, une rougeole, et le jeu des mille francs
Une guinguette sur le Marne, l’accordéon de Jean
Un Marcel, une Raymonde, un Lucien, une jeunesse
Un ami, un amant, un rire, une faiblesse…
Allez, il faut ranger, remets ça dans ma poche
Ici, j’ai plus besoin de blouse, ni de galoche
Je me suis mise au piquet, j savais pas ma leçon
J’ai fait mes enfants libres, et j’en paye la rançon
Dans la vie que tu mènes ya plus d place pour tes vieux
C’est pas grave, c’est pas d chance, c’est pas pire, c’est pas mieux
Ici, je dors tranquille, et ils sont bien gentils
Quand je fais cou-couche panier, on me fait guili guili
Le plus moche, c’est les vieux qui radotent leurs histoires
Larmoyant tout le jour, ou à longueur de soir
Ça me plombe le moral, ça me parle d’Alzheimer
Mais tant pis, l’infirmière, elle viendra si je pleure
Ici, j’ai juste un nom, mais plus d’identité
Ma bouche se fait trop loin, j peux plus l’encuillérer
J’ai des maux dans mon ventre et ma peau se lézarde
C’est bon, pleure pas ma fille, l’était temps qu’on me bazarde
Et j vais pas me répandre, tu vois, c’est indécent
Ces gens me connaissent pas, même s’ils sont pas méchants
Va pas croire mon petit que je me démissionne
Que je ne veux plus rien voir parce que j’aime plus personne
J’ai juste rangé mes yeux à l’intérieur de moi
Comme ça je dérange plus et il y fait moins froid. »
Son manteau suspendu dans l’entrée au vestiaire
Elle n’a gardé sur elle qu’un strict nécessaire
Un bonjour, un merci, un monsieur, un madame,
Un sourire, une photo, un mouchoir, une larme.
"Mots Nomades", éditions Gros Textes, août 2010
disponible à la Lucarne des écrivains, 115 r de l'Ourcq, Paris 19ème,
Librairie Villeneuve, 5 r Villeneuve et Librairie 107, 107 bd Jean Jaurès à Clichy.
sur le site de Gros Textes ou par correspondance en nous écrivant ici : frangelik-motsnomades@hotmail.fr.