Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
le blog de Frangélik
Archives
Derniers commentaires
Newsletter
8 janvier 2011

Passage Molière, ce soir ...

La Maison de la Poésie a rouvert ses portes. Aujourd'hui, enfin, c'est hier déjà.

La poésie ...

D'abord on vous demande rien, et vous, vous savez même pas qu'elle existe. Elle se niche quelque part entre deux barreaux de lit et une tête de maman penchée au-dessus, qui vous fait répéter des syllabes. Dans votre mémoire, c'est une chanson.

Plus tard, elle habite dans le double-ligne 3 millimètres de chez madame Madeleine, et elle s'appelle une récitation. 38 ans après, vous vous souvenez encore "j'aime l'âne si doux/ qui va le long des houx/ il a peur des abeilles/ et bouge ses oreilles/ il va près des fossés/ d'un petit pas cassé/ Il réfléchit toujours/ Ses yeux sont en velours ..." Pourtant, vous habitez Maurice, il n'y a pas de houx sauf dans vos livres d'images, il n'y a pas d'ânes dans vos prés  parce qu'ici, il y a des champs de canne à sucre. Et c'est ici qu'elle vous charme, la poésie. A la nostalgie, oui madame, elle vous embobine à la nostalgie. Oui, chez vous, là-bas, il y a du houx, il y a l'hiver, il y a des ânes dans les fermes. La poésie, elle parle de chez vous. Et chez vous, c'est ailleurs. C'est dans le froid, loin des tropiques, et ça vous manque comme un Noël avec un vrai sapin qui ne serait pas un filao, avec pépé, mémé et tous les autres qu'il a fallu quitter.

ça y est, il est là le millimètre d'air qui manquait entre le sol et le ciel dont parle Marina Svetaïeva. Il est dans l'évocation du houx. Tout votre imaginaire tient dans un double ligne 3 millimètres, et il vous arrache des larmes si vous n'y prenez garde.

Et depuis ce temps là, vous flirtez avec, comme une feignasse. Parce qu'à l'école on vous a dit "c'est bien", et parce qu'on vous a fait croire que vous aviez des facilités.
Parce qu'après l'école, à l'heure des métiers, vous l'avez jugée inutile, comme tout le monde, et vous lui avez préféré des lectures efficaces, voire pas de lecture du tout.
Parce qu'après l'heure du métier, vous lui avez préféré la télé, qui est consensuelle et qui met le couple d'accord quand la sensibilité se barre en sucette.
Mais vous flirtez avec, parce que les soirs d'un peu trop dégueulasse, quand vous croyez crever de honte, il n'y a qu'elle qui vous sauve.
Vous la gardez dans la poche comme on planque le numéro de téléphone de l'amant. Pour le jour d'ennui ou pour le jour du départ.

Et puis un jour vous partez.
Alors vous sortez de votre poche un chiffon de papier.

Mais pendant tout ce temps là, vous aviez oublié les bouquins. Vous aviez oublié de regarder naître vos contemporains. Le train est parti, vous êtes resté à quai. Il vous reste une langue fatiguée d'avoir trop attendu.

Vous rencontrez votre propre médiocrité et vous vous laissez prendre dans ses bras faciles : vous vous autoproclamez poète parce qu'avec votre plume, vous caressez des possibles, des colères et de vagues chimères. Vous êtes fait comme un rat. Parce que dans le monde qu'on vous vend, la moindre rime est estampillée poésie. On n'a rien compris au verre ni au vin. Au signifiant ni au signifié. A l'habit ni au moine. On vous vend des barquettes de bidoche en vous faisant croire à l'animal. Des cubes de poisson en vous faisant croire à l'écaille. Des parlottes à rallonge, des diatribes courtes sur pattes en vous faisant croire au pamphlet. Du vers boosté à l'OGM de la platitude, parce que la douleur, ça fait mal, le feu, ça brûle et le malheur, c'est triste, en vous faisant croire à la littérature. Vous y croyez parce que c'est facile et que vous ne savez plus lire avec l'exigence de vos seize ans. Vous y croyez parce que votre sensibilité est loin des cannes à sucre en manque de houx. Elle est passée au rouleau compresseur du veut-tout-tout-de-suite. Le rouleau compresseur du manque-de-rien. Jamais faim, ici, madame, jamais faim.

Et puis un 7 janvier au soir, comme ça, pour voir, vous allez mettre votre nez à la Maison de la Poésie.

Et vous rencontrez des géants.
Yves Bonnefoy, Bernard Noël, Michel Deguy.

Vous pensez d'abord que c'est fait pour les intellos, tout ça, ça prend la tête et c'est encore un élitisme à la mords-moi le nœud, regardez comme ils sont nombreux, les parisiens bien mis avec leurs petites manières livresques ... ça ronronne de contentement et de fatuité. Vous pensez à vos p'tites actions culturelles, à vos démarches de vulgarisation. Vous pensez à votre public, vos gueules cassées, les abîmés de l'école, du "système", les qui ont peur du verbe, les qui n'ont pas compris que le pouvoir, c'est la maîtrise de la langue, les qui n'ont pas leur place dans le monde des signes. Vous pensez à eux et vous vous dites "qu'est-ce que je fous là ?"

Et puis soudain ça vous attrape.
ça vous prend en traître comme le houx de madame Madeleine. Vous respirez dans le premier millimètre d'air de Marina Svetaïeva. Vous y respirez, et vous comprenez, sans que ça passe par la case adéquate. Vous comprenez au flair. Les mots atteignent cette épaisseur qu'avaient les syllabes d'avant, au-dessus du lit à barreaux.
Yves Bonnefoy vous parle d'urgence. Il vous dit "la terre est une langue, et si on laisse disparaître certains de ses mots, alors elle va perdre sa signification".
Et cette histoire de terre vous ramène à vos gueules cassées, à votre sacrosainte égalité des chances. Et vos actions de vulgarisation, elles vous paraissent vulgaires, parce que vous n'aviez rien compris au pinard ni au verre.
Et vos poèmes satisfaits, ils vous renvoient à votre outrecuidance.

Vous repartez fort d'une seule chose : la poésie est la seule à ne pas savoir, à ne pas se savoir, à n'être ni utile, ni efficace, et c'est peut-être pour cela qu'elle peut sauver le monde, ou tout au moins, qu'elle permet d'y survivre*.

C'est avec ça qu'il faudra écrire, qu'il faudra réconcilier, maintenant.

Vous rentrez par le métro en dévorant Céline, Mort à crédit, comme à l'aller. Avec seulement un peu plus d'humilité dans les yeux. Et la faim au ventre.

*Conférence de Fabrice Midal "Pourquoi la poésie".

"le monde comme un poème", rencontre entre Yves Bonnefoy, Bernard Noël et Michel Deguy, animée par Jean-Baptiste Para.

Maison de la Poésie, Passage Molière - 157, rue Saint-Martin
75003 Paris - 01 44 54 53 00
M° Rambuteau - RER Les Halles

http://www.maisondelapoesieparis.com/

Publicité
Commentaires
A
Des vœux également, mais je garde mon côté mammifère ...<br /> Angélique
E
Salut.<br /> Un petit coucou pour vous souhaiter la bonne et surtout heureuse année 2011 !<br /> Bonne année
le blog de Frangélik
Publicité
le blog de Frangélik
Publicité