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le blog de Frangélik
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27 juillet 2010

Il y a des jours ...

Il y a des jours où le passé vous saute à la gueule.

Vous le pensiez votre meilleur ami, le passé, ou plutôt ce qu'il en restait, une fois toutes les décorations superflues patinées, écaillées à l'érosion naturelle de jours qui passent.

Une fois tombés les vieux lambeaux de papier peint, une fois passée la toile émeri sur vos restes de subterfuge en acrylique satiné à l'odeur agressive, le dernier clinquant de modernité dont vous étiez si fier à l'époque ... et une fois la matière brute mise à nue, une fois tout ça, parfois, vous découvrez une pierre de taille d'un marbre rare, invariant, tenace et primordial comme une clé de voûte, une pierre de taille qu'à l'époque, peut-être vous aviez négligée, parce que vous couriez après des futilités, ou après des miroirs, ou après des hommes, ou après votre bonheur, ou après vos enfants qui grandissent et ne vous attendent plus, ou après l'argent, ou que sais-je encore ...

Et vous découvrez dans cette matière brute, sans artifice, sans faux-semblant, un peu de ce qui fait que vous êtes vous-même, debout, encore après toutes ces années.

Après les naufrages et les reconstructions, vos Dien Bien Phu personnels et vos choix sans retour, vous êtes vous-même, debout, dans une anse apaisée, et c'est pour ça que vous revenez à votre ancienne demeure et que vous acceptez enfin d'en regarder les décombres. Parce que vous connaissez enfin le "debout", que vous savez que vous ne tomberez plus, ou du moins pas tout de suite, et que vous n'avez plus peur. Alors vous pouvez revenir. Revenir et dire "il y a encore quelqu'un ?" Vous pouvez vous demander, comme Anne Sylvestre "mais qu'est-ce que j'oublie, qu'est-ce que j'oublie ?"

Et c'est là que vous le dénichez, votre morceau de fondation, avec sa texture de main tendue, avec sa forme de niche à se lover dedans, sa rugosité à pierre fendre qui à l'époque vous blessait un peu.

Alors vous voulez le caresser, mais comme vous n'osez pas encore, vous lui chuchotez un truc à l'oreille, je reviens je n'oublie pas, je ne savais pas comme tu m'avais manqué.

Il vous faut un peu de courage, car vous avez la sensation d'avoir cultivé l'oubli, l'abandon, vous savez tout ça au fond de vous, et vous revenez comme Pomponette après la trahison, comme un voleur qui vient restituer son larcin, un enfant ingrat qui soudain se souvient du sein, vous revenez, oui, mais vous n'êtes pas très fier. Alors maladroit, vous confiez une parole, une émotion, une grandiloquence passagère teintée de votre plus sincère nostalgie, vous confiez cela au vent en espérant qu'il trouve la faille. Et comme ce n'est pas suffisant, vous soufflez un peu dessus, quand-même, pour que la parole s'immisce jusque dans l'intimité de la roche.

Vous voudriez que ce soit une reconnaissance immédiate, comme un regard de première fois, oui mais c'est vingt ans après, peut-être, est-ce que tu as changé ? parce que moi, j'ai changé, tu vois, mais en mieux, et puis c'est un peu grâce à toi.

C'est pour ça que maladroit, avant de poser votre main sur votre ancienne empreinte, pour toucher si c'est encore chaud, si ça palpite, si la niche a encore une forme à se lover dedans, vous avez envoyé une parole en l'air en soufflant dessus, comme les amants s'envoient un baiser par-delà les vents ascendants.

Mais la tempête s'est levée et votre parole vous revient à la gueule comme une gifle, vous ne poserez plus vos mains, c'est trop tard, de la maison, il ne reste que des décombres, la fondation est fondation, mais elle appartient au souvenir, c'est trop tard, à trop effeuiller la marguerite, vous avez perdu la tendresse, c'est trop tard, à trop laisser de place, le vide parfois devient béant, c'est trop tard, on va reboucher les trous, et s'il faut on mettra du ciment, c'est trop tard, certaines indignités ne se pardonnent pas.

Votre parole tendre vous revient comme un persiflage.
Un persiflage.
Vous aviez pris un petit bout de cœur et vous l'aviez peint aux couleurs du temps pour le mimétisme, vous l'aviez posé sur les ailes du vent, et voilà qu'il vous persifle à la face comme une bise de janvier. Il vous persifle et vous reproche de parler trop. de parler trop pour vous vendre. vous vendre encore comme les putains de chansons que vous aviez consolées au sortir des chapeaux.
Une de vos plus belles fondations vous persifle et vous crie "à la prostitution !".

Alors vous regardez les dessous de soie de vos paroles, vos dessous d'encre et de plume, votre prose aguichante qui se couche sur le papier pour tous les regards, vous regardez vos dessous et vous leur demandez s'ils aiment se vendre, s'ils s'écrivent pour se vendre, si sur votre carrosserie encore assez bien achalandée, ils ne se sentent pas trahir, quelquefois, l'intime et le vrai, en masquant une défaillance inavouable du moteur.

La question n'a pas de réponse, pour l'instant.

Vos dessous se taisent, ils n'ont rien à en dire, ce ne sont que des dessous, ils n'ont pas de morale. Mais ils aiment l'exhibition, ça vous le savez, vous l'avez toujours su, même si vous avez voulu l'ignorer et si votre précieuse fondation, à l'époque de votre obscurantisme, vous a tenu la main lors de vos premières tentatives d'effeuillage ...

Tout ce qui fait que j'estois belle, c'est mon stylo qui l'a écrit. Oui, mon stylo a vendu mes blessures ancestrales. Il a vendu aussi mes plus grands bonheurs et tous mes souvenirs d'enfance. Il a vendu bien plus que ça, il a vendu mon âme, oui, mon stylo a mis mes paroles sur le papier, il en a fait de petites valeurs marchandes. Il les a vendues à la scène, au spectacle, au cd. Oui, c'est indécent, et c'est du commerce, et j'en fais publicité.

Mais je suis née avec ceci : la mémoire est un devoir.

Quand ce n'est pas moi qui le dis, c'est Romain Gary, et il le dit bien mieux que moi.
Et quand bien même je crierais à la terre entière : "c'est ma fondation, ma roche tendre à la sûreté indéfectible, elle est intemporelle, c'est de la graine de cristal déguisée en granit", je ne ferais que mon devoir.

Dans ce devoir, il importe peu de dire qui est qui. Je parle de moi, de mon nombril, comme toujours, mais c'est pour vous parler de vous. De cette histoire qui sans cesse recommence.

Naître, se retrouver nu et seul au sortir d'un ventre, et puis courir sa vie à vouloir la peupler de la félicité originelle, quand tout était tout au sein du Grand Tout et qu'on avait le loisir de s'ignorer individu, qu'on pouvait se laisser porter par un ventre, un univers, et que c'était ouaté et tendre comme une voix de coton, et que ça suffisait, la grande voix du monde qui te demande rien.

Naître, se retrouver seul et nu, et courir sa vie à vouloir la peupler. la peupler. et se sentir responsable. se savoir individu, et c'est grave, être un individu, ça veut dire age quod agis, fais ce que tu fais. tout le monde n'y arrive pas. mais tout le monde nage dedans quand même. une grande piscine d'individus qui tous gesticulent et qui cherchent à se peupler mais qui ne se voient pas parce qu'ils ont de l'eau plein les yeux, et qu'avant d'être un peuple et de réfléchir, il faut d'abord apprendre à nager, pour survivre, et qu'il faut se battre pour ça, et que certains ont peur de l'eau, et que d'autres aiment ça, et que tout en réfléchissant parfois il faut faire les moulinets nécessaires pour rester à flot sinon tu te noies et il n'y a plus ni peuple ni seul ni chemin ni rien. juste un balbutiement de splatch qui aura fini comme une flaque que personne n'aura vue dans la grande tempête permanente de la récréation qu'on appelle la vie.

Et puis mourir, seul et nu, et abandonner le peuple qu'on s'est construit le temps d'une vie. Et après ?

Et je vous parle de mes peuplements et de mes déserts, de mes amours et de mes jachères, et ce n'est pas du bavardage, non. C'est juste un peu d'humilité. Qui suis-je moi, pour dire "j'ai un avis sur la question" "voilà comment on se peuple". Moi j'ai une route, c'est la mienne, et c'est de ça que je parle, de quoi parlerais-je d'autre, franchement ?

Gageons seulement que sur le chemin, les lecteurs trouveront des petits cailloux blancs que j'ai laissés à dessein, pour eux, dans les circonvolutions de mes lignes qui ont l'air de se foutre à poil et de ne pas y toucher. Je ne parle pas de ma vie parce qu'elle est intéressante. Je parle de ma vie parce qu'elle est comme la vôtre, et que c'est pour ça qu'elle vous concerne.

C'est une mémoire, un témoignage, un hommage quelquefois. Je me souviens car je suis obligée. Je me souviens car c'est mon paramètre préféré, je crois.

Je sais, il se vend beaucoup de choses autour de la mémoire, du témoignage. Est-ce que c'est bien est-ce que c'est mal ?

Je poserais la question à Barbara, si elle revenait, je poserais la question aux aigles noirs qui zèbrent mon ciel les soirs d'un peu trop dégueulasse.

Est-ce que c'est grave de vendre un spectacle où on a mis son âme ?

Est-ce que c'est grave un concert où on chante sa mémoire ? est-ce que c'est grave de rendre hommage ? est-ce qu'on peut dire l'amour et assumer pour une fois bordel de merde, que ça ressemble à la haine, et dire sur scène que la haine, c'est bien quand ça t'apprend à aimer ? Est-ce que c'est grave de parler de son peuple ? Est-ce que c'est grave, est-ce que c'est grave, est-ce que c'est grave ?

Est-ce que c'est grave le bonheur ?

Un jour, quelqu'un de très avisé m'a dit : non, le bonheur, c'est pas grave, sauf si vous êtes poète.

Pas de bol.

Je ne reviendrai pas de sitôt sur mes pas, non, je ne reviendrai pas.

Je laisserai ma jolie roche dans sa peau de vache, ma jolie vache déguisée en clé de voûte, dans les limbes des souvenirs dont personne ne parle plus, au risque de se compromettre ou de les compromettre. Je laisserai certains souvenirs dans l'antre de mes silences, pour ne plus les blesser.

Mais je continuerai de m'effeuiller pour exhiber mes dessous d'encre, tout ce qui fait que j'estois belle, je continuerai, oui. De vendre ma prose, d'en faire monter les enchères, et dieu sait qu'elle est cher payée !!!

Ma prose, mon loto à moi, ma tendre putain irrespectueuse des plus belles valeurs, ma jolie catin aux déliés mascara et aux alinéas de soie, à la bouche vernie pour des baisers qui s'achètent à l'entrée des théâtres ...

Je n'écris pas, messieurs, mesdames, je fais ma publicité.
Je racole en quelque sorte.

Et mes souvenirs ne se veulent plus complices.
Mes souvenirs n'ont rien compris. Au temps de mes cathédrales de plastique, j'étais déjà la même, mais ça se voyait moins. J'ai eu besoin de m'appuyer à quelque valeur sûre pour mes premières mues. Et je n'ai gardé que certaines pierres à mon édifice. Celles que j'ai choisies.

Mes souvenirs ... emportés ...


    QUE SONT MES AMIS DEVENUS ?.... ( RUTEBEUF )
   
   
    Que sont mes amis devenus
    Que j'avais de si près tenus
    Et tant aimés
    Ils ont été trop clairsemés
    Je crois le vent les a ôtés
    L'amour est morte

    Ce sont amis que vent me porte
    Et il ventait devant ma porte
    Les emporta  

 

    Avec le temps qu'arbre défeuille
    Quand il ne reste en branche feuille
    Qui n'aille à terre
    Avec pauvreté qui m'atterre
    Qui de partout me fait la guerre

Au temps d'hiver  

 

    Ne convient pas que vous raconte
    Comment je me suis mis à honte
    En quelle manière
 

 

    Que sont mes amis devenus
    Que j'avais de si près tenus
    Et tant aimés
    Ils ont été trop clairsemés
    Je crois le vent les a ôtés
    L'amour est morte

    Le mal ne sait pas seul venir
    Tout ce qui m'était à venir
    M'est advenu
 

 

    Pauvre sens et pauvre mémoire
    M'a Dieu donné, le roi de gloire
    Et pauvre rente
    Et droit au cul quand bise vente
    Le vent me vient, le vent m'évente
    L'amour est morte
    Ce sont amis que vent emporte
    Et il ventait devant ma porte
    Les emporta
 

 

   
 

   

Rutebeuf (1230-1285)




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