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24 juillet 2010

anciens combattants ...

CM1_monsieur_Gabet__
Ernest Renan 1975, Casa

classe_de_Frank
quelque part en France années 90



       CP_ang_lique
      quelque part en France années 90

Frank et moi avons enseigné pendant respectivement 17 et 15 ans. À l'école Publique. Avec des convictions, des choix éducatifs du côté des pédagogies actives. Pédagogie de projet, Freinet, Montessori, Decroly, pédagogie institutionnelle.

On a bricolé dans nos classes. Des classes qui ressemblaient à des ruches, des fourmilières. Avec une institution qui a pu encourager nos choix - modestes, certes - mais toujours au profit de la réussite des élèves. De la fameuse égalité des chances. L'école de la diversité, de la tolérance, de l'exigence, aussi. L'école de la créativité, de l'individu en cours d'apprentissage, mais aussi du citoyen en devenir. L'école du "vivre ensemble". Enfin bref : l'école.

Et puis Frank et moi, nous avons démissionné.

Oui, c'est vrai, nous partageons une passion artistique qui nous a embarqués vers d'autres rivages : la bohème, qui à deux fois vingt ans, nous a attrapés par la main pour nous faire arpenter à cloche pied son chemin compliqué de la terre jusqu'au ciel.

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photo Michel Delage - slam manuscrits 2007


Mais il n'y a pas que ça. Il y a aussi l'école. Une école dans laquelle petit à petit, insidieusement, on s'est senti perdre une identité, perdre le "feu sacré". Ce ne sont pas les élèves qui sont en cause. Non. Les élèves, ils nous manquent. Alors, sortis de l'école par la porte, on y rentre de nouveau, par la fenêtre. Pour partager avec des élèves notre passion : les mots, l'écriture, l'oral. La scène. La musique. Les émotions fortes et gratifiantes du projet commun. Du projet d'expression. Où dans le collectif, on peut s'exprimer, être entendu, tendre chaque jour vers plus d'exigence. Exigence vis à vis de soi-même, d'abord. Se respecter. Concevoir son propos pour pouvoir l'exposer. Le formuler de son mieux. Le partager. Donner, recevoir. Transmettre.

Mais on ne peut vivre cela que parce qu’on est sortis de l’institution. Nos « méthodes » ne seraient plus conformes aux programmes qui découpent le savoir en tranches … nos méthodes sont transversales. Elles ne considèrent pas le savoir faire comme une fin en soi, mais comme un outil au service d’un projet plus vaste : le projet de l’élève.

Est-ce nous qui n'avons plus voulu de l'école, ou l'école qui n'a plus voulu de nous ? Je ne sais pas. Mais je sais que dans l'école qui se dessine, nous, on n'a pas notre place. Ou alors il faudrait se compromettre. Il faudrait céder à un discours. Il faudrait courber l'échine et accepter que des apprentissages, il ne reste plus qu'un socle. Accepter que, sous la charge des effectifs, les élèves ne soient plus que des petites personnes à évaluer en termes de performances. D’items réussis ou échoués. L'élève ne serait plus un enfant, mais seulement un apprenant. C'est-à-dire un contenant. Et le "savoir" serait le contenu. Et nous, enseignants, nous serions des entonnoirs à gaver nos ouailles. De l'élevage industriel, messieurs dames. Plus de gambades dans les prairies ni d'émerveillement en haut des arbres. Plus d'élève bio grandi en liberté dans la jolie forêt vierge des connaissances à défricher avec l'aide précieuse d'un maître bienveillant. De l'élève de batterie boosté aux hormones de la performance. Sous le label rouge "enseignement public". Le minimum de qualité attendu au coin du bois dont on aurait ratiboisé les hautes futaies.

Juste ce qu'on peut faire : le minimum. Accepter que sous la charge des textes officiels qui se succèdent et se contredisent, les mathématiques ne soient plus qu'une technique opératoire de l'addition. Non, de la division. Une technique opératoire dépourvue de sens.

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Alors, on a démissionné. On nous a dit que c'était fou.

Certains de nos meilleurs amis nous ont enjoints à tricher. Oui, oui. Tricher. "Tu te mets en longue maladie, tu sais, le truc qui te fait craquer quand tu enseignes : la dépression. Tu te mets en maladie, tu touches des indemnités. Et puis tu fais artiste si tu veux à tes heures perdues. Mais ne démissionne pas. Non, surtout, ne démissionne pas. Pense à tes enfants."

Alors on a pensé à nos enfants.


Et on a démissionné.

Parce qu'élever ses enfants, c'est transmettre des valeurs. Ben oui. C’est comme enseigner, de ce point de vue là.
Des valeurs : honnêteté intellectuelle, honnêteté tout court, courage de ses opinions, refus de renier ses convictions. Le respect du collectif. Quand on a l'honneur d'être rémunéré par le Trésor Public, on se montre digne de sa mission. Le service public, messieurs mesdames, c'est une histoire républicaine. Être fonctionnaire, c'est être responsable. Être conscient d'être au service de tous parce que chaque citoyen nous paie en contribuant.

La précarité matérielle, ça ne pèse pas lourd dans l’escarcelle de la liberté d’agir. Libres d’agir. On souhaite aux élèves de partout: la gambade, la prairie, la clé des champs et les merveilleux secrets de la connaissance à trouver dans leur jardin, pour peu qu'un maître bienveillant leur apprenne bêcher. Cette école là mérite qu’on s’y arrête. 

Et les injonctions contradictoires qui émanent des chapeaux, tout en haut de la pyramide, il nous appartient de réagir contre. 

On a démissionné de l’école, messieurs mesdames, mais on ne s’en fout pas. Tant qu’il restera un grain de folie sous les ailes de nos muses, on ira le semer.

Ne permettez pas que les enseignants de vos enfants ne soient pas formés à ce métier. Ce métier dont j’ai dit très longtemps qu’il était le plus beau du monde. Ne laissez pas s’éteindre l’envie de faire, l’envie de dire, l’envie d’agir ensemble. Dites quelque chose. 

cahier_frank

Num_riser0014

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